La deuxième fois

Elle a croisé mon chemin deux fois depuis les débuts de la disparition de Marilyn et ce, sans le savoir. La première fois, c’est son copain qui a téléphoné. Il croyait que c’était Marilyn. Il avait hébergée cette jeune femme durant des mois. Il avait remarqué un tatouage, une taille fine et de beaux yeux. Cette fois-ci, c’est une dame qui m’a raconté l’avoir vue dans un hôpital. La jeune femme parlait fort, elle semblait intoxiquée. Elle se débattait. On l’a déshabillée sans ménagement. On a refusé de lui donner le sirop pour les drogués.
Le lendemain, on a fouillé dans la boîte des objets perdus pour pouvoir la rhabiller. Elle est partie dans une tempête de neige avec une couverture d’hôpital sur le dos. On l’a probablement vite oubliée, tout comme son foulard et ses gants. C’est un objet perdu. Elle ressemble à Marilyn. Je connais maintenant son nom. Je l’ai cherchée dans la liste des personnes disparues, mais je ne la trouve pas.
Apparemment, elle ne manque à personne. Elle a à peu près le même âge que ma soeur. Où habite-t-elle?  Elle se prostitue dans une région éloignée des grands centres. Je sais que sa situation se détériore. Il y a deux ans, elle avait au moins un toit. Ça fait deux fois que je la trouve en cherchant Marilyn. Ce n’est pas Marilyn. C’était celle qui lui ressemble. C’était celle qui fait le trottoir, qui claque ses talons sur le ciment dur comme sa vie.
Deux fois déjà. J’ai peur du jamais deux sans trois. Et si nous recevions un coup de fil pour identifier un cadavre qui ne serait pas celui de Marilyn? Quel choc!

Pourquoi est-ce que personne ne cherche cette autre jeune femme? Est-ce possible de l’aider au lieu de la regarder bêtement partir dans la tempête?Je ne sais pas ce qui est arrivé à Marilyn. J’aime l’imaginer cachée dans un couvent à la Rock ‘n Nonne, ou sur une plage du Mexique, cheveux dans le vent, sourire aux lèvres. Je la vois en héroïne qui s’échappe de toutes les mauvaise situations quelles qu’elles soient. Dans les moments sombres, je me dis que ma soeur est forte, que l’humain est résilient, qu’il y a toujours des survivants aux génocides, aux tsunamis, aux bombes et aux épreuves qui semblent insurmontables. Que Marilyn sache qu’elle peut compter sur moi et que je l’aimerai toujours. J’espère encore et encore la revoir. Quand je pense à cette autre jeune femme, le doute me serre le coeur.
Et si quelqu’un regardait aussi partir Marilyn dans la tempête? Il est si facile de fermer les yeux, d’attendre que la silhouette s’efface au loin.
Et se dire «De toute façon, je ne reverrai jamais cette personne». En tant que soeur de disparue, ces mots résonnent dans le coeur, même lorsque l’on parle d’un inconnu. La pensée de ne jamais revoir son être cher, de l’imaginer dans la douleur ou dans le froid glace le sang. C’est pourquoi l’idée d’un bon samaritain, du soleil chaud du Mexique, de l’amnésique qui s’éveille me permettent l’esquisse d’un sourire quand mon regard croise celui de Marilyn, figé sur les photos. Deux fois déjà, j’ai trouvé celle qui lui ressemble. Je ne savais pas trop quoi faire, mais j’ai appelé une travailleuse de rue pour qu’elle marche dans les pas de l’autre. Je suis tombée sur quelqu’un de bien. Il n’y pas de ressources en région pour aider les prostituées. Stella n’existe qu’à Montréal.J’ai demandé: «Vous avez bien un programme qui puisse lui permettre de sortir de la rue?»On m’a répondu: «Oui, il y a une maison d’hébergement qui reçoit les femmes itinérantes. La démarche doit venir de la personne. On ne peut que lui demander si elle a besoin d’aide.»J’ai insisté: «Vous pouvez lui donner une brochure, non?»

On m’a rétorqué: «Oui, sans problème. L’équipe va garder l’oeil ouvert.»

Je n’ai jamais donné son nom. J’ai donné un coin de rue.
J’ai raccroché en me disant qu’enfin quelqu’un allait la chercher.

J’ai ensuite appelé la maison d’hébergement.

On m’a dit qu’on «peut recevoir une femme itinérante gratuitement seulement pour quelques semaines».

J’ai ajouté: «Je pense que cette jeune femme est dépendante aux drogues dures. Pouvez-vous l’aider? »

Avec retenue, on m’a dit: «Oui, mais nos moyens sont limités. On travaille avec un centre de désintoxication.»

Une nouvelle ressource. J’ai demandé: «Vous avez le numéro?»

On m’a répondu un peu sèchement: «Il est dans les pages jaunes.»

C’est vrai, après tout je n’ai qu’à chercher le numéro de téléphone. Au point où j’en suis…

J’ai trouvé le centre de désintoxication sur internet. J’ai parlé à une intervenante fort sympathique qui m’a expliqué: «On accepte la plupart des cas, sauf ceux qui sont trop lourds».

J’ai dis: «Pouvez-vous préciser?»

La liste était relativement simple: «Les personnes qui s’injectent des drogues intraveineuses, celles qui ont déjà fait un séjour chez nous et qui démontraient des problèmes de comportement tel que la violence. Des choses de ce genre…»

J’ai demandé: «Quelle sera la ressource disponible pour les cas lourds?»

«L’hôpital.»

Ah oui, celui-la qui renvoie les gens dans les tempêtes de neige.

L’intervenante a ajouté vivement: «On ne peut pas forcer quiconque à se faire soigner».

Un jour, j’ai suivi un cours dans un organisme qui aide les jeunes en situation d’itinérance. Le discours a été sensiblement le même:

«On est pas là pour les SAUVER. On est là pour répondre à leurs besoins». Avec fierté cette intervenante a affirmé qu’elle avait laissé une jeune femme accoucher sur une plage, mais lui avait donné des couvertures.

Vraiment? Il y a de quoi être satisfait?

Je sais qu’on ne peut pas sauver la terre entière, mais peut-être doit-on revoir les méthodes?

Dans quelle mesure une personne itinérante intoxiquée arrive-t-elle à prendre une décision éclairée sur son propre sort alors qu’elle doit mendier, se prostituer, se battre, jeûner pour simplement survivre?

Et comment faire confiance à ceux qui doivent prendre des décisions d’observation ou d’internement quand ils laissent partir n’importe qui dans la tempête?

Je commence à croire que ceux qui disent «ce n’est pas moi qui décide» causent finalement cette boucle malsaine où personne n’arrive à se sortir de rien parce que personne n’est responsable.

J’ignore si cette jeune femme qui ressemble à Marilyn décidera de demander de l’aide. Si elle acceptera le café de la travailleuse de rue. Si elle voudra bien jeter un coup d’oeil sur la brochure.

J’ai offert une aide financière pour qu’elle puisse dire «je ne veux pas» et non «je ne peux pas». Va-t-on seulement lui proposer quelque chose?
Ce n’est pas moi qui décide. En attendant, cette jeune femme marche dans la tempête.

Pour une brigade spécialisée des disparitions au Québec

Je vous invite à lire cet article paru récemment dans la presse. Ma famille souhaite vivement qu’une brigade spécialisée dans les disparitions au Québec soit constituée.

Les familles veulent une brigade spécialisée

Ce type d’unité spéciale existe entre autres en Ontario et en Colombie-Britannique et permet de résoudre plus de cas de disparitions d’enfants et d’adultes, sans compter une meilleure coordination sur un vaste territoire. Je crois sincèrement qu’une expertise provinciale pourrait contribuer à de meilleurs résultats pour retrouver un être cher, surtout dans les précieux premiers jours de l’enquête d’une disparition. De nos jours, on ne peut plus chercher dans un seul village ou une seule ville. Et on ne peut pas se permettre d’ériger des frontières de juridictions quand chaque minute compte.

J’en profite pour mentionner encore une fois qu’il y a plus de 600 corps non-identifiés au Canada qui sont présentement dans diverses morgues du pays. Ce sont peut-être 600 personnes disparues recherchées par leur famille depuis des mois, voire des années. Même si nous nous accrochons tous les jours à l’espoir de revoir Marilyn vivante, je voudrais savoir si elle est décédée. Je trouve donc particulièrement aberrant qu’il n’existe toujours pas de base de données nationale pour les personnes disparues et corps non-identifiés. Est-ce que ce sont les familles de personnes disparues qui doivent la créer? Est-ce à nous de constituer une brigade spécialisée comme cela existe dans les autres provinces et pays?

Si nous avions une unité spéciale sur les disparitions au Québec, peut-être connaitrions-nous un peu mieux l’histoire derrière les visages de ces enfants, de ces jeunes adultes, de ces adultes ou vieillards qui se sont évaporés dans la nature. Peut-être pourrions-nous ainsi les retrouver?

Quelques personnes disparues du Québec.

 

Quelques cas de disparition non résolus au Québec…

Brenda Duperron, 17 ans, disparue depuis le 9 mars 2012. (Montréal)

Maisy Odjick, 22 ans, disparue depuis le 6 septembre 2008. (Communauté de Kitigan Zibi)

Diego Königsthal, 1 an au moment de sa disparition le 5 décembre 2007. (Montréal)

Odette Lemieux, 60 ans, disparue au début du mois de janvier 2012. (Québec)

Laura Jame May, 17 ans, disparue depuis le 19 octobre 2011. (Montréal)

Antonio El-Asmar, 5 ans au moment de sa disparition le 11 janvier 2001. (Montréal)

Diogo Santos, 31 ans, disparu depuis le 20 octobre 2011. (Montréal)

Alexandra Ducharme Bibeau, 14 ans, disparue depuis le 1er mars 2012. (Sherbrooke)

Gilles Perron, 66 ans, disparu depuis le 13 janvier 2012. (St-Jean-Sur-Richelieu)

Geneviève Malo, 40 ans, disparue depuis le 15 décembre 2011. (Saint-Calixte)

Pierrette Lamy, 72 ans, disparue dans la nuit du 4 au 5 janvier 2012. (Laval)

Howard Graveline, 75 ans, disparu depuis le 30 décembre 2011. (Gatineau)

Ma soeur Marilyn Bergeron, 24 ans au moment de sa disparition le 17 février 2008. (Québec)

Mbaye Thiaw NDIR, 16 ans, disparu depuis le 20 janvier 2012. (Québec)

Michael Montpetit, 17 ans, disparu depuis le 23 novembre 2011. (Sherbrooke)

Maxime Richard, 16 ans, disparu depuis le 28 février 2012. (Longueuil)

Maxime Pelletier, 21 ans, disparu depuis le 29 janvier 2012. (Québec)

David Fortin, 14 ans au moment de sa disparition le 10 février 2009. (Alma)

Sarah Adnan Hashim Siraj, 16 ans, disparue depuis le 20 février 2012. (Montréal)

Cédrika Provencher, 9 ans au moment de sa disparition le 31 juillet 2007. (Trois-Rivières)

Visiter le site internet Avisderecherche.tv pour une liste plus complète des cas de disparition non résolus au Québec.  (Il y en a plus de deux cents)

 

 

Message pour la famille de Maxime Richard

Mise à jour:
Maxime est malheureusement décédé. Toutes mes sympathies à sa famille que j’apprécié énormément. Il restera dans vos coeurs pour toujours. Je ne l’oublierai pas et je pense aussi à vous.
C’est avec tristesse que j’ai appris la disparition récente de Maxime Richard de Longueuil, 16 ans, en fugue depuis le 28 février dernier.
J’ai reconnu la douleur et la fatigue des proches dans ces premiers jours dramatiques. J’ai vu les mêmes piles d’avis de recherche sur la table de la cuisine, les amis
qui distribuent dans le métro et les journalistes qui lancent l’appel au public. J’ai aussi reconnu la ténacité d’une mère qui souhaite retrouver son enfant, la collaboration d’inconnus ou d’ami qui publie une vidéo (bravo Maxime Messier pour l’initiative!) et le soutien d’une population généreuse qui s’unit pour tenter de retracer cet être cher qui manque à l’appel.
Voici les informations. Prenez s.v.p. quelques minutes pour vérifier si vous avez peut-être aperçu Maxime Richard.
Date de disparition: 28 février 2012
Lieu de la disparition: Collège DuRocher de Saint-Lambert
Âge: 16 ans
Taille: 1, 85 m. – 6’1 »
Poids: 64 kg – 141 livres
Yeux: Pers (certains sites disent aussi bleus ou verts)
Cheveux: Blonds ou peut-être teints en noir
L’adolescent s’exprime en français. Lorsqu’il a été vu pour la dernière fois, il portait un chandail noir à l’effigie du groupe AC/DC, un jeans gris foncé et un manteau noir. Il pourrait être dans la région de Austin en Estrie où se trouve le chalet familial ou peut-être dans la ville de Sherbrooke.
Cartes:
1. Directions possiblement empruntées par Maxime pour se rendre du Collège DuRocher de Saint-Lambert à Austin en Estrie.  
Il a quitté le Collège DuRocher de Saint-Lambert en après-midi le 28 février 2012. Il aurait tenu des propos suicidaires, ce qui laisse croire aux enquêteurs que sa vie pourrait être en danger.
Si vous avez des informations, s.v.p. veuillez contacter:
9-1-1 ou 450-463-7211 (Service de police de la Ville de Longueuil)
Si la famille ou les amis de Maxime Richard lisent ces lignes, sachez qu’il me fera plaisir de vous donner quelques renseignements que j’auraient souhaités recevoir dans les premiers jours de la disparition de ma soeur Marilyn.
Il y a des éléments qui peuvent être vérifiés qui sont très importants et qui ne seront pas nécéssairement disponibles après un certain temps (caméras). S.v.p. écrivez-moi: contact@trouvermarilyn.com.
Je suis de tout coeur avec vous.  Surtout, continuez de croire que vous retrouverez Maxime.
Et si par hasard Maxime vous lisiez ces mots, dites-vous bien qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel et que des gens sont prêts à vous aider, peu importe la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous êtes visiblement aimés Maxime… Sans jugement, sans retenue. Accrochez-vous à la vie! Elle vous la rendra… Après la pluie, le beau temps.
Amitiés,
Nathalie
Soeur de Marilyn, disparue le 17 février 2008, qui continue de l’aimer et de penser à elle à tous les jours.