Pourquoi est-ce que personne ne cherche cette autre jeune femme? Est-ce possible de l’aider au lieu de la regarder bêtement partir dans la tempête?Je ne sais pas ce qui est arrivé à Marilyn. J’aime l’imaginer cachée dans un couvent à la Rock ‘n Nonne, ou sur une plage du Mexique, cheveux dans le vent, sourire aux lèvres. Je la vois en héroïne qui s’échappe de toutes les mauvaise situations quelles qu’elles soient. Dans les moments sombres, je me dis que ma soeur est forte, que l’humain est résilient, qu’il y a toujours des survivants aux génocides, aux tsunamis, aux bombes et aux épreuves qui semblent insurmontables. Que Marilyn sache qu’elle peut compter sur moi et que je l’aimerai toujours. J’espère encore et encore la revoir. Quand je pense à cette autre jeune femme, le doute me serre le coeur.
On m’a rétorqué: «Oui, sans problème. L’équipe va garder l’oeil ouvert.»
Je n’ai jamais donné son nom. J’ai donné un coin de rue.
J’ai raccroché en me disant qu’enfin quelqu’un allait la chercher.
J’ai ensuite appelé la maison d’hébergement.
On m’a dit qu’on «peut recevoir une femme itinérante gratuitement seulement pour quelques semaines».
J’ai ajouté: «Je pense que cette jeune femme est dépendante aux drogues dures. Pouvez-vous l’aider? »
Avec retenue, on m’a dit: «Oui, mais nos moyens sont limités. On travaille avec un centre de désintoxication.»
Une nouvelle ressource. J’ai demandé: «Vous avez le numéro?»
On m’a répondu un peu sèchement: «Il est dans les pages jaunes.»
C’est vrai, après tout je n’ai qu’à chercher le numéro de téléphone. Au point où j’en suis…
J’ai trouvé le centre de désintoxication sur internet. J’ai parlé à une intervenante fort sympathique qui m’a expliqué: «On accepte la plupart des cas, sauf ceux qui sont trop lourds».
J’ai dis: «Pouvez-vous préciser?»
La liste était relativement simple: «Les personnes qui s’injectent des drogues intraveineuses, celles qui ont déjà fait un séjour chez nous et qui démontraient des problèmes de comportement tel que la violence. Des choses de ce genre…»
J’ai demandé: «Quelle sera la ressource disponible pour les cas lourds?»
«L’hôpital.»
Ah oui, celui-la qui renvoie les gens dans les tempêtes de neige.
L’intervenante a ajouté vivement: «On ne peut pas forcer quiconque à se faire soigner».
Un jour, j’ai suivi un cours dans un organisme qui aide les jeunes en situation d’itinérance. Le discours a été sensiblement le même:
«On est pas là pour les SAUVER. On est là pour répondre à leurs besoins». Avec fierté cette intervenante a affirmé qu’elle avait laissé une jeune femme accoucher sur une plage, mais lui avait donné des couvertures.
Vraiment? Il y a de quoi être satisfait?
Je sais qu’on ne peut pas sauver la terre entière, mais peut-être doit-on revoir les méthodes?
Dans quelle mesure une personne itinérante intoxiquée arrive-t-elle à prendre une décision éclairée sur son propre sort alors qu’elle doit mendier, se prostituer, se battre, jeûner pour simplement survivre?
Et comment faire confiance à ceux qui doivent prendre des décisions d’observation ou d’internement quand ils laissent partir n’importe qui dans la tempête?
Je commence à croire que ceux qui disent «ce n’est pas moi qui décide» causent finalement cette boucle malsaine où personne n’arrive à se sortir de rien parce que personne n’est responsable.
J’ignore si cette jeune femme qui ressemble à Marilyn décidera de demander de l’aide. Si elle acceptera le café de la travailleuse de rue. Si elle voudra bien jeter un coup d’oeil sur la brochure.